Alfa Montréal

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psal24
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Art mobile ou automobile de luxe ?

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L’exposition universelle est l’endroit et le moment pour monter et démonter ses compétences. Entre rêves et réalité, les exposants se donnent carte blanche pour représenter leur nation et en mettre plein la vue aux visiteurs du monde entier. En 1967, au Canada, à Montréal (afin de fêter le centenaire de la confédération canadienne) l’Italie va présentée une automobile, symbole de son savoir et de la reconnaissance mondiale qu’elle cultive en terme de belle carrosserie et de motorisations nobles. Alfa Roméo et Bertone sont désignés pour une association qui doit permettre d’exposer «la plus haute aspiration de l'homme en matière d'automobile » selon le cahier des charges.
Le but est de proposer aux yeux de tous, un prototype digne de la voiture de l’an 2000, une image du futur, de l’élégance et de la noblesse automobile. Le pari est si bien rempli que cette bête de salon va finir par trouver sa voie vers la production en série mais sans toutefois connaître la carrière commerciale qu’on pouvait espérer.

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Une Vénus dans un salon :
L’association de Bertone pour le style et d’Alfa pour la partie technique se fait dans une bonne ambiance, les 2 officines se connaissant déjà plutôt bien. Le temps est compté ; à peine 1 an pour présenter un prototype abouti.
La base technique retenue est celle du coupé Bertone équipé du 4 cylindres double arbre de 1600cc mais dont une partie du châssis sera totalement inédite avec un ajout tubulaire.
Coté Bertone, c’est Marcello Gandini qui se colle au style, tout juste auréolé d’un énorme succès : la Lamborghini Miura..

Ce seront 2 exemplaires tous les 2 peints en blanc qui seront produits pour être exposés durant l’exposition universelle. L’un des 2 modèles est encore à ce jour conservé au musée Alfa Roméo d’Arese, proche de Milan.

Si la carrosserie parait aérodynamique, elle n’a pas eut droit à des tests en soufflerie. Elle se présente comme un coupé relativement étroit mais au style très affirmé. Sa face avant avec ses feux avant, cachés ou protégés par des glaces fixes fait sensation. Le capot avant est débordant sur les ailes laissant une large ouverture vers la mécanique. Les clignotants avant sont complètement intégrés à la face avant et ne débordent pas de la carrosserie. Le profil avec ses larges ouies faisant penser à des aérations pour un moteur central arrière et une découpe de portes très oblique avec une custode inversée sur les portes donnent une sensation de sportivité très affirmée. L’arrière semble presque plus conventionnel dans cet ensemble mais intègre un mini hayon dans sa lunette arrière ouvrante. Le double échappement central fini de compléter la partie arrière pour donner la touche de sportivité ultime.

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L’intérieur n’a pas eut droit à une étude très poussée, se contentant de reprendre dans les grandes lignes celui du coupé Bertone.

Le succès durant le salon est tel qu’Alfa entrevoit la possibilité d’une production en série afin de rapidement satisfaire à la demande inespérée qui s’est manifestée.

De l’exposition universelle vers la production en série :
Du prototype vers la série, certains modèles franchissent le pas mais toujours avec certaines modifications afin de rendre la projet viable économiquement et industrialisable. La Montréal ne va pas déroger à la règle. Le choix du nom n’a pas posé de problème pour le passage en série : le nom du prototype est resté car très fort en terme d’image.

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Dessins d’études

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Prototype roulant

La base technique retenue est toujours celle du coupé Giulia, plus connu sous le nom de coupé Bertone dans la famille Alfa. Le fait de reprendre une base existante permet d’abaisser les coûts d’une part mais aussi de réduire les délais d’études d’autre part. Toutefois, le projet initial devait bien avoir un châssis spécifique à ce modèle avec une suspension arrière avec un pont de Dion mais les restrictions budgétaires en ont décidés autrement.
Toutefois, cette décision va être lourde de conséquences car il va falloir adapter la carrosserie du prototype sur ce chassis aux dimensions légèrement différentes par rapport aux prototypes de l’exposition universelle.
De ces adaptations vont aussi découler une refonte des parties avant et arrière. Les feux avant vont ainsi être à demi masqués non plus par des vitres mais par des volets escamotables mais qui ne masquent pas complètement les projecteurs, créant une sorte d’illusion optique sur une calandre qui masquerait plus que le radiateur. Une fausse prise d’air type Naca vient à l’avant débuter le bossage du capot moteur.
L’arrière va aussi être repris pour offrir un style plus recherché tout en conservant la lunette arrière ouvrante sur un vaste coffre.

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Point important avec le passage à la production, la suppression de la mécanique de la Giulia est décidée. Le 4 cylindres à double arbre bien connu des Alfistes n’est pas retenu pour la série malgré tout son talent et la reconnaissance qui lui est attribué.
Le choix se porte sur une plus noble motorisation, plus la hauteur de la robe créée qu’Alfa va chambouler sa base technique en profondeur. Le moteur est un v8 ouvert classiquement à 90° pour une cylindrée de 2593cc. Il est équipé de 4 arbres à cames en tête pour une puissance de 200 ch DIN (230 SAE). Une injection mécanique Spica alimentée par 2 pompes à essence et un allumage électronique viennent compléter cette galerie technologique. L’injection a été préférée aux traditionnels carburateurs à cause du manque de place sous le capot moteur. Ce sera considéré comme un crime pour les alfistes purs et durs mais comme une innovation pour les autres.
Une boite à 5 vitesses manuelles fournie par ZF (avec 1ère en bas) entraîne les roues arrières vers un pont rigide un peu obsolète sur une voiture de ce type.
Le freinage est assuré par 4 disques, renforcés par rapport à un coupé Bertone.
La vitesse de pointe est annoncée pour 220 km/h avec un 0 à 100 avalé en 7s. Le v8 prend facilement 7000 voir 8000 t/m dans un crépitement très sportif alors que la puissance maxi est obtenue à 6500 t/m avec un couple maxi de 235 Nm à 4750 t/m.

La motorisation retenue au début était une version 2,0l du biarbre maison. Ce moteur a finalement était laissé à la disposition du coupé Bertone pour lui redonner un coup de pouce sur sa fin de carrière et ne pas trop concurrencer la future Montréal. Ainsi il fût décider d’implanter une mécanique plus puissante sur la nouvelle venue.

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Moteur Alfa Montréal

Le moteur est posé sur la traverse avant du châssis alors que les berlinettes à moteur central ont de plus en plus souvent le vent en poupe à cette époque dans le très haut de gamme et vont devenir une référence dans les années 70 et 80.
Du choix du positionnement du moteur découle la répartition des masses de 60 % à l’avant pour 40% à l’arrière. Au final, la Montréal de série pèse 1270 kg tous pleins faits ce qui en fait une auto relativement lourde pour ce gabarit.

Le moteur est directement dérivé du bloc équipant l’Alfa Tipo 33 mais avec quelques modifications : sur la 33, c’est un 2,0l avec un double allumage qui crache ses 400 ch dans la catégorie sport-prototype où elle a été victorieuse au Mans en 1968, à Daytona et à Spa et a gagnée le championnat des voitures de sport en 1977. La compétition au service du client en somme.

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Alfa Tipo 33 ici dans sa version 2

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Si l’intérieur des prototypes de 1967 était celui d’un coupé Bertone, pour la production en série, une véritable étude est lancée et débouche sur un espace sportif à souhait avec quelques belles originalités. Derrière le large volant en bois tulipé, se cachent les compteurs qui sont un monument de design. Si de loin on aperçoit 2 énormes cercles qu’on croit être 2 gigantesques manomètres qui sortent du tableau de bord pour aller vers le conducteur, on découvre de près plusieurs cadrans et indicateurs répartis dans ces 2 énormes gamelles.
Les places arrière sont symboliques tellement l’espace pour les jambes y est compté faisant de la Montréal un 2+2 plutôt qu’une 4 vraies places..

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Il faudra 3 longues années pour concrétiser ce projet, ce qui est plus long que ce qu’Alfa espérait en donnant dès 1967 le feu vert à une mise en production. L’adaptation de la carrosserie au châssis de Giulia sans ajout tubulaire comme sur les 2 prototypes de l’exposition universelle a posé de nombreux problèmes sans parler des différentes motorisations pré-senties mais non retenues et de la fiabilisation d’un v8 de compétition pour une utilisation de tous les jours.

Une carrière discrète bien en dessous des espoirs fondés :
La présentation du modèle définitif se fait au salon de Genève de 1970. Si la production débute bien durant l’année 1970, les premières livraisons n’auront lieues qu’au début de l’année 1971.
Les teintes proposées sont dans l’esprit des années 70 : des teintes acidulées, voyantes et provocantes qu’on pourrait presque qualifier de fluo tellement elles osent s’exposer. Ainsi, on trouve 2 verts dont un métal, un rouge, 2 teintes orange dont une métal, une couleur or au milieu de 2 nuances de gris dont 1 métal, un marron métal, un bleu et enfin un noir sur commande spéciale pour ce dernier. A noter que le rouge Alfa typique n’est pas proposé, aussi incroyable cela puisse paraître.
Les intérieurs sont coordonnés à la carrosserie avec du noir, du beige ou du gris de disponible offrant un large choix de personnalisation.
Au niveau des options, il était possible de choisir une peinture métal, l’air conditionné ou les vitres électrique.

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Bertone assure l’assemblage de la carrosserie avec les mécaniques provenant de Milan. La commercialisation va avoir lieue de 1970 à 1977 avec 3925 exemplaires vendus. Malgré une ligne qui fit fureur, le succès commercial n’a pas suivi.

La carrière de la Montréal s’est poursuivie sur fond de crise énergétique et de limitation de vitesse, une époque où les sportives sont montrées du doigt pour leur manque de sécurité et leur coût en assurance. Elle sera principalement vendue en Suisse et en Allemagne mais pas en Amérique du nord où elle n’a pas été exportée.

Depuis 1967, jusqu’à la commercialisation, le soufflet a malheureusement eut le temps de retombé car si le style avait été innovant en 1967, 3 ans plus tard, il s’est banalisé avec les dernières sportives sorties et avec un virage de style abordé au début des années 70 qui prenait un malin plaisir à faire exactement l’opposé des années 60 démodant à vitesse grand V les lignes à peine sortie.
Et comme ci cela ne suffisait pas, l’épopée de la Tipo 33 n’a finalement pas été très prolifique : peu de victoires malgré un gros engagement et donc peu de renommée et retombées pour Alfa et son v8 qui traîne plutôt une étiquette de perdant.

Malgré un autobloquant à 25%, des freins spécifiques à 4 disques, des pneus larges, le train arrière en usage intensif n’arrive pas à suivre. La presse n’est pas toujours tendre avec le chef d’œuvre stylistique. De même, la direction s’avère trop peu précise, une crémaillère à la place du boîtier à re-circulation de billes aurait été préférable tout comme des suspensions moins souples. Cette sportive cache en fait un cœur de GT qui n’a pas été compris, un grand coupé bourgeois mais pas une nerveuse qui enchaîne au cordeau les virages.

Si les vocalises du v8 sont au niveau ce qu’on peut attendre d’une telle mécanique, qui plus est, enfantée par Alfa Roméo, le reste du package technique n’a pas séduit. La concurrence de l’époque se nomme Porsche 911 S 2,4l, Ferrari Dino ou encore Citroen SM. La lutte contre les 2 premières ne se fait pas à armes égales au niveau du blason même si la Montréal est la seule à offrir 8 cylindres contre 6 pour une puissance à peine supérieure, des performances moindre mais un prix de vente tout à fait comparable. Ainsi la Porsche 911 S 2,4l affiche 190 ch pour 230 km/h de vitesse maxi. Avec 200 kg de moins que la Montréal, elle se révèle plus performante mais son prix de vente est légèrement supérieur. Par contre la Dino 246 GT est pratiquement vendue au même prix que la Montréal pour 195 ch, une vitesse maxi de 240 km/h et elle pèse à peine plus que la Porsche (+30 kg). La Montréal se permet d’être une 2+2 (tout comme la 911) alors que la Dino est une stricte 2 places. Ses atouts face à ces 2 monstres sont finalement minces en dehors de son style. Car sur la route, la Montréal s’affiche vite en retrait par rapport à ses concurrentes. Les trains roulants démodés ne vont pas lui faciliter une carrière qu’Alfa estimait prometteuse avec une prévision de 10 000 exemplaires à l’année.

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La Montréal n’a pas seulement souffert de la concurrence. Les grèves et luttes syndicales durant les années 70 chez Alfa ont mis à mal non seulement la productivité mais aussi la qualité de fabrication. Il fallait au pire jusqu’à 4 ans de patience pour prendre possession de sa Montréal entre la production chaotique et la distribution parfois défaillante. De plus, la finition quelconque, surtout face à la Porsche 911 à la réputation inattaquable et à la sportivité mainte fois prouvée finie d’achevée la patience de certains acheteurs moins habitués à la marque au trèfle. Un engagement en compétition aurait eût être sauvé la Montréal face à de telles adversaires.

Si l’année 1972 représente la plus forte production pour la Montréal, la crise pétrolière de 1973 va vite mettre fin à la carrière d’une auto équipée d’un v8 vorace à souhait. Dès juillet 1974 la production stoppe, les ventes se faisant sur stock jusqu’à la fin de carrière. En France, on a dénombré 480 ventes. A noter que la fin de vie fut très difficile avec seulement 50 Montréal vendues durant les 2 dernières années.
Enfin, après 5 ans de commercialisation, la mort de la Montréal était déjà plus qu’annoncée. Le prix de vente avait tellement augmenté qu’il pouvait avoir connu une hausse jusqu’à 100% par rapport à 1970 et parfois même plus dans certains pays comme l’Italie.

Peu de modifications sont intervenues durant ces années de commercialisation. La plus visible est l’adjonction d’un spoiler noir à l’avant après les 100 premiers exemplaires afin d’augmenter la stabilité à haute vitesse.
Autre modification notable qui concerne toutes les Alfa, à partir de 1972, le blason où il n’est plus indiqué « Milan » comme par la passé, Alfa s’étant étendu en Italie du sud à cette époque avec l’Alfasud.

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Montréal avec spoiler noir à l’avant

Le temps se chargera de laisser une réputation assez désastreuse surtout au niveau financier sur les Montréal. L’embrayage s’use rapidement et reste bloquée en cas de non utilisation prolongée, le circuit de refroidissement est un gros point faible à surveiller de très près et le circuit électrique peut être capricieux. Malgré un traitement anti corrosion, la rouille mange les Montréal assez copieusement. L’injection mécanique doit être contrôlée régulièrement sous peine de transformer une déjà vorace Montréal en gouffre sans fin sachant que cette injection se dérègle facilement et que sa fiabilité n’est pas au niveau attendu.
La mécanique n’est pas des plus connue et peu de gens acceptent d’y toucher d’autant plus que, dérivée de la compétition, son suivi est impératif et que les temps de chauffe doivent être respectés à la lettre. Les révisions reviennent aussi très rapidement, le moteur devant être inspectés en profondeur tous les 30 000 km. Ne parlons pas de la disponibilité des pièces de nos jours…

Les Montréal deviendront des mal aimées assez rapidement, devenant invendable à une époque où seul le moteur était recherché pour équiper… des bateaux de course avec de beaux succès à la clé ! Quelle ironie…

Certains coupés ont été doté d’une version 3,0l du v8 par Autodelta, division sportive d’Alfa, soit pour la compétition à la demande de client (réalesage de 80 à 86 mm 370 cv à 9000 t/m 32kg.m a 7000tr, 1220 kg) soit pour un usage routier (avec 250 ch) avec un type mine différent.

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Montréal Autodelta prête à courir

Il faudra attendre la production de l’Alfa 8C Competizione de 2007 pour que la Montréal puisse avoir une descendance digne de son rang dans la gamme du constructeur milanais. Les Montr2al restantes sont surtout propriétaires de passionnés qui ne jurent que par leur auto et malgré les aléas et la disponibilité des pièces, en font une véritable icône au même titre que des modèles plus huppées de la même époque.