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Lancia Delta (chapitre 3) : La Delta S4

Publié : sam. 10 févr. 2007 6:53 pm
par Lancia_Net
Un destin tragique, une carrière d’étoile filante :
Depuis la Stratos, Lancia construit de toutes pièces ses modèles pour la compétition. La Stratos puis la 037 (connue aussi sous le nom de Lancia Rallye) ont ainsi été les bêtes de courses de la marque. Pour remplacer cette dernière en groupe B, un nouveau projet doit mettre sur le devant de la scène une auto encore plus affûtée, plus adaptée, plus performante que ses précédentes versions.
La 037 est une 2 roues motrices à moteur central avec compresseur. Il lui manque 2 roues motrices supplémentaires ainsi qu’un peu de puissance en plus pour tenir bon la barre et contrer les Peugeot 205 T16 et Audi Quattro. La 037 est agile et gagne encore des courses et obtient même la couronne mondiale en 1983 mais une nouvelle race de groupe B commence à prendre le relais avec des moteurs turbo et des transmissions intégrales.
Les groupes B sont des enfants terribles. Elles vont devenir des monstres de la route, des bêtes de virages, des formules 1 des routes, mais aussi donner de tristes premières pages et gros titres à la presse mondiale, en dehors de la page des résultats sportifs.
Le règlement du groupe B voulait obliger les constructeurs à prendre un modèle de série et l’adapter à la compétition. Les constructeurs vont faire l’inverse en créant des monstres de la route qu’ils vont tenter de vendre…

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Naissance du projet 038 :
Le projet débute en 1983 à partir d’une Lancia 037. Un moteur est ainsi modifié pour accueillir en plus du compresseur, un turbo. C’est Giorgio Pianta qui se charge de cette greffe, puis Claudio Lombardi synchronise la double suralimentation grâce à l’invention d’un système de bypass. La plage d’utilisation du moteur débute à 1200 tours/m pour aller jusque 8400 ! Le compresseur est en charge des bas régimes, puis le turbo prend le relais, le compresseur tournant alors à vide.

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Circulation des flux dans le moteur

Cette technique va être appliqué à un bloc de 1759 cm3 (85,5 x 71,5) en alliage léger. C’est un 4 cylindres avec une culasse à 16 soupapes, double arbres. Chaque système de suralimentation possède son échangeur. La puissance va ainsi atteindre les 400 à 470 ch mais avec une disponibilité du couple très tôt dans les tours. Le turbo est un KKK, le compresseur est signé Abarth qui développe le moteur.

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Le moteur

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Implantation de la mécanique

Au niveau du style, il est entièrement dicté par les raisons budgétaires et aérodynamiques. Ainsi des pièces de Delta et de 037 composent la face avant. Le capot arrière par exemple est très court et ne descend pas complètement car… ça ne sert à rien, et même au contraire, car cela laisse assez de place pour libérer le trop plein de calorie et permet d’alléger la pièce !
Autre étape de l’étude du nouveau modèle, le châssis. Il sera tubulaire et doit être à 4 roues motrices, une nouveauté pour Lancia, qui se base sur l’expérience acquise par la 037 en compétition et sur sa première expérience de ce type de transmission, un prototype de Delta 1600 HF turbo à 4 roues motrices présentée en 1983. La répartition avant/arrière de la puissance sera de 25/75 pour les épreuves sur route et 30/70 pour la terre. Les trains roulants sont une version à peine améliorée de la 037. La répartition des masses est ainsi de 40 % sur l’avant et 60 % sur l’arrière. Afin de réduire le poids, le carbone sera utilisé généreusement et les arbres de roues sont en titane.
La boite à 5 rapports n’est pas synchronisée. La direction à crémaillère est assistée. Les freins ont des disques ventilés avec des étriers 4 pistons.

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Développement du projet, la S4 est encore un prototype :
Afin de valider les choix techniques, tester la fiabilité, rien ne vaut le terrain. La Delta S4 va donc participer à quelques rallyes afin que sa mise au point se fasse en direct. Durant 1985, un prototype participe ainsi à 3 courses (Costa Smeralda, Mille Pistes et Collines de Romagna) avec des résultats mitigés. La mécanique déclare forfait à chaque fois et le pilote finlandais Markku Alen en est dépité… tellement que Peugeot et Jean Todt sont à 2 doigts de le récupérer. Il reste un rallye à faire (Algarve). Cette fois ci, la Delta tient bon, elle est fiable et performante. Les derniers gros soucis s’envolent en quelques jours (réglage du châssis à adapter) et Markku Alen re-signe un contrat avec Lancia, en plaine confiance pour la suite des évènements.
La mise au point a été difficile mais Lancia est parti de loin. L’apprentissage de la transmission intégrale a été dur... très dur ! Le châssis inédit et la technique de double suralimentation n’ont pas non plus simplifié le développement de la voiture ainsi que sa fiabilisation mais les espoirs sont aux beaux fixes. Les réglages sont enfin finalisés, la Delta S4 va pouvoir commencer sa carrière officielle.

La Delta S4 Stradale :
La version client, la Stradale est présentée à la fin de l’année 1984 au salon de Paris. Afin d’être homologuée pour le groupe B, elle doit être produite à 200 unités. C’est une stricte 2 places.

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Accessibilité mécanique complète

L’intérieur est revêtu d’alcantara, une matière qui va devenir le signe du haut de gamme et de la noblesse d’équipement chez Lancia. La boite de vitesse est entre les 2 sièges et le moteur tout juste accolé à la cloison juste derrière les sièges. La climatisation est de série… certes c’est peu courant à cette époque mais les calories du moteur sont très présente dans cet habitacle qui est dérivé d’un modèle de compétition.
Prix de vente : 500 000 frs.

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Le moteur de cette version client se limite à 250 ch pour un poids de 1200 kg (contre 1000 pour la S4 de compétition). Cette voiture est bourrée d’originalités, jusqu’à ces pneus, des Pirelli asymétriques, une technique encore rare à l’époque.

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La Delta S4 en compétition : des débuts prometteurs
Markku Alen est le pilote numéro 1 de l’équipe. Cesare Fiorio (qui dirige la structure de compétition officielle) fait appel à Henri Toivonen pour le seconder alors qu’il manque de confiance en lui, il revient d’un très gros accident au Costa Smeralda. Il est en manque de victoire depuis quelques années mais son talent est intact. Un jeune pilote, Massimo (Mikki) Biasion, est appelé pour piloter une 3ème voiture pour quelques courses alors qu’il est encore inexpérimenté sur terre et finira second pilote. Mikaël Ericsson viendra en renfort sur la 3ème voiture engagée par la suite.

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La Delta S4 est homologuée le 1er novembre 1985. Sa première sortie officielle se fait durant le RAC Rallye, dernière épreuve du calendrier 1985. Cette épreuve est une répétition générale pour toute l’équipe qui est impatiente de débuter le championnat 1986. Tellement que Alen signe le meilleur temps dès la première spéciale, Toivonen se classe 3ème, revenant même à la seconde place avec la seconde étape. Malheureusement, trop d’impatience chez les 2 pilotes vont les pousser à faire des tonneaux, chacun perdant du temps… beaucoup pour Alen qui fait sa sortie de route dans un endroit désert alors que son équipier peut bénéficier de l’aide de nombreux spectateurs. Toivonen ne perdra que quelques secondes contre plus de 5mn pour Alen qui laisse la victoire à l’autre Delta S4, mais fini tout de même second. Première sortie officielle de la Delta S4, premier temps à la première spéciale, première victoire et même un doublé. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître !

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1986, année de la Delta S4 ?
Monté Carlo : Les Lancia font peur mais MG, Peugeot, Ford, Toyota et Audi ont affûtés leurs armes. Biasion et Toivonen vont prendre les commandes successivement du rallye pour Lancia. Après plusieurs passassions de commandement entre écuries, Toivonen, avec une voiture accidentée sur une étape de liaison, rattrape son retard et gagne l’épreuve alors que ses équipiers de chez Lancia abandonnent. L’année débute en fanfare pour lancia.

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Suède : Changement de décor. La voiture a du mal à se comporter sainement sur ce terrain glissant. L’équipe ne maîtrise pas encore avec assez de recule la transmission intégrale. Toivonen abandonne sur une soupape cassée et Alen assure une seconde place.

Portugal : 1er accident grave de la saison pour une Ford RS200 avec 3 morts et plusieurs blessés. Les pilotes préfèrent abandonner plutôt que continuer l’épreuve face à l’inconscience de certains spectateurs qui se jettent presque sous les roues pour être au premier rang et voir de plus près (de trop près !) ces monstres de la route.

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Safary rallye : Pas de Delta S4 mais 3 Lancia Rallye qui sont jugés plus fiables et préférables sur ce rallye difficile et cassant. Lancia joue la sécurité. Alen termine 3ème.

Corse : Les Peugeot 205 T16 sont aux avant postes. Toivonen tient bon et grignote son retard. Seul Bruno Saby suit le rythme. Nouveau drame. Sortie de route pour Henri Toivonen et son co-pilote Sergio Cresto. La Delta S4 prend feu avec ses 2 occupants qui n’auront pas le temps de s’extraire. Lancia se retire de l’épreuve qui se poursuivra le lendemain après neutralisation.

Acropole : Biasion qui apprend la conduite sur terre fini second en s’étant battu pour la victoire. Ce jeune pilote confirme les espoirs qui pèsent sur lui.

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Nouvelle Zélande : Kankkunen et sa 205 sont en forme cette année et les Lancia font un tir groupé derrière ce pilote, qui joue le titre, dans cet ordre : Alen, Biasion, Ericsson.

Argentine : Biasion continue d’impressionner et gagne avec une certaine facilité. C’est sa première victoire ! Alen est le seul a suivre et fini second. Un nouveau doublé pour Lancia et pour la Delta S4.

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1000 lacs : Alen domine largement avec 27 spéciales à son compte mais une sortie de route lui laissera seulement la 3ème place du classement général.

San Remo : Alen remporte la victoire, Biasion se classant 3ème dans une épreuve où les Peugeot seront exclues pour aileron non conforme. Peugeot dépose une réclamation pour des irrégularités de chronométrage.

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RAC : Alen termine second malgré une très belle prestation. Ericsson abandonne peu avant la fin sur casse de turbo alors qu’il naviguait dans les premières places.

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Olympus : Alen est le seul pilote à effectuer le déplacement pour Lancia. Le titre constructeur est déja attribué à Peugeot par contre, le titre pilote se dispute entre Alen et Kankkunen pour un petit point d’écart en faveur du pilote Peugeot. Alen remporte le rallye et donc le championnat après une passe d’arme remplie de suspense.

18 décembre 1986, sur tapis vert…
La réclamation de Peugeot au rallye de San Remo aboutie : Les 3 voitures françaises ont été exclues abusivement et le chronométrage de certaines épreuves n’était pas bon. Cette épreuve est supprimée des résultats. Alen perd donc le championnat au profit de Kankkunen.

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La S4 groupe B aux rayons X

Les victoires de la Delta S4 groupe B :
RAC 85 et Monte-Carlo 86 avec Toivonen
Argentine 86 avec Biasion
Finlande 86 avec Alen

Le groupe B disparaît, le groupe S est mort né :
La réglementation du groupe B a été détournée par les constructeurs qui au lieu de prendre une voiture de série pour l’adapter à la compétition ont construit des autos pour les faire courir dans cette catégorie. Ainsi ils se sont permis de mettre sur la route des monstres. La fédération internationale de sport automobile (FISA) décide donc d’officialiser cette attitude en créant le groupe S. Si le groupe B nécessitait la production de 200 modèles en série avec moins de 10% de différence entre le modèle de compétition et le modèle client, le groupe S va plus loin, et, est moins contraignant. Seuls 10 autos produites suffisent à homologuer un prototype mais qui sont limités à 300 ch. A peu de chose près, on retrouve les règles du WRC avec ses 300 ch et ses 20 unités produites avec quelques années d’avance.
Après l’année 1986 où de nombreux accidents dont certains mortels ont eu lieus, la FISA décide de ne pas donner suite au groupe B, mais aussi au groupe S, laissant ainsi le groupe A assurer le haut du tableau en rallye.
Le groupe S aurait ainsi put donner vie chez Audi à la 002 Quattro, chez Ford à une nouvelle RS200 et chez Lancia à la ECV.

La Lancia ECV1 :
Présentée au salon de Bologne 1986, la Lancia ECV1 (Experimental Composite Vehicle) était destinée au groupe S. Ce prototype permet de mettre en application le travail des matériaux légers à tous les niveaux de la conception d’une automobile. Résine, carbone, kévlar, matériaux thermoformés ou composites… les dernières solutions les plus en pointe sont réunis en une seule étude.
La base de l’ECV1 est ni plus ni moins que la Lancia Delta S4 mais avec une échelle moindre. C’est une évolution dans bien des domaines. L’allègement extrême permet d’abaisser le poids à 930 kg. Le moteur passe à 600 ch avec un système à 2 turbos dont un pour les bas régimes et un autre qui vient épauler le premier dans les hauts régimes.

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Cette Lancia ne verra jamais le jour autrement que sous la forme d’un prototype qui restera sans suite après le coup d’arrêt porté au groupe B et au groupe S mort né.

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La Lancia ECV2 :
Une seconde version de l’ECV est produite à 2 exemplaires et présentée mais de manière non officielle en 1988.
Toujours en collaboration avec Abarth, ce nouveau prototype est une version plus pointue encore de l’ECV. Les qualités aérodynamiques ont ainsi été optimisées, ainsi que le poids total qui atteint les 910 kg mais avec une répartition des masses encore améliorée et une taille encore réduite.
Les radiateurs ont migrés sur le devant de la voiture au lieu de l’extrême arrière afin d’optimiser le refroidissement.
La transmission est une version améliorée de la Delta S4 avec une répartition du couple de 30 % sur l’avant et 70 sur l’arrière avec 3 différentiels.
Le moteur gagne encore 50 ch.

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La Delta S4 donne le LA aux futures Delta groupe A :
De la Delta S4, prototype de compétition adaptée à un usage routier forcé, va découler l’engagement en groupe A du championnat du monde des rallyes de Lancia avec la Delta. Ce sera le début d’une épopée incroyable avec plusieurs couronnes mondiales à la clé.
La Delta S4 est à la fois une semi réussite et un semi échec. Réussite en compétition ternit par la mort d’un équipage et un succès commercial pas à la hauteur. Le bilan est moitié à l’honneur et moitié honteux.